On sait si mal en parler, de l’homosexualité : c’est un sujet qui, dans l’imagerie populaire, et dans certains milieux religieux chrétiens ou musulmans, inspire encore souvent la moquerie. C’est plutôt synonyme de manque de virilité chez les hommes, d’anormalité, de honte, de problème mental (mais oui encore en 2023), de débauche, de malédiction, voire d’ignominie et d’infamie.
Sujet qui reste bien souvent tabou dans certaines familles. Ou alors on en parle volontiers pour rire, plaisanter, se moquer et amuser la galerie. Avec tellement de dérapages, d’offenses, d’humiliations et de mépris dans des propos tels que : « pédé, tapette, tante, tantouse, tarlouse, fiotte, tafiole, mademoiselle, femmelette, t’es de la jaquette ? ».
Il est rare que l’on aborde le sujet avec sérieux : il le mérite pourtant. La moquerie et l’offense constituent le lit de l’homophobie. Cela explique combien certains vivent leur homosexualité dans la dissimulation et l’anonymat… Ils mettent ainsi en place des stratégies d’apparence et de façade hétérosexuelles auprès de leurs proches. Et ceci aura pour effet de décupler les effets de division et d’éclatement dans leur être, puis dans leur entourage.
L’homosexualité : une attirance sentimentale puis sexuelle
Certains ados, ou certains adultes mais sur le tard, découvrent un jour qu’ils éprouvent une forte attirance sentimentale, amoureuse et sexuelle, de préférence ou exclusivement pour les personnes de leur sexe, et ils passent à l’acte : la société dit alors qu’ils sont homosexuels, gays, ou lesbiennes.
Le processus de découverte se déroule globalement ainsi, mais pas toujours dans cet ordre :
- homo-affectivité naissante (homophilie, préférence de la vie relationnelle et de l’amitié forte avec une personne du même sexe, avec qui l’on se sent si bien ! )
- homo-sentimentalité (dont les sentiments amoureux)
- homo-sensualité (avec désir -conscient ou pas- de séduire et d’aller peut-être plus loin…)
- homo-sexualité (pratiquée ou non)
Comme l’hétérosexualité, l’homosexualité ne se réduit pas à un simple comportement sexuel, mais elle implique un ensemble d’attitudes, de valeurs et de préférences dont la seule véritable justification se trouve dans les rapports affectifs et sentimentaux.
Le spécialiste américain J. Marmor suggérait la définition suivante, qui semble assez appropriée :
Peut être considérée comme homosexuelle une personne qui, durant sa vie adulte :
- manifeste une préférence pour des personnes de son propre sexe
- est érotiquement (sexuellement) attirée par ces personnes
- a habituellement (mais pas nécessairement) des relations sexuelles avec une ou plusieurs de ces personnes
L’échelle de Kinsey
Dans les années 1940, le très contesté Dr Alfred Kinsey [2] et toute une équipe de chercheurs entreprirent une très vaste enquête sur la sexualité en Amérique du Nord, avec des questions abordant la sexualité de façon franche et directe, puisque ces chercheurs purent ainsi établir l’« échelle de Kinsey ». Bien que cette enquête fut ensuite remise en question à cause de sa manière d’échantillonner la population interrogée, cette échelle est encore valable de nos jours puisqu’elle a été confirmée par de nombreuses autres études.
Il s’agissait d’une échelle sur laquelle se répartissent les individus : à l’une des extrémités ceux et celles qui sont exclusivement homosexuels ; à l’autre extrémité, ceux et celles qui sont exclusivement hétérosexuels. Et entre ces deux extrémités prendraient place ceux et celles qui sont un peu homosexuels et un peu hétérosexuels, donc bisexuels selon des proportions diverses.
D’où la graduation suivante :
1 – Entièrement hétérosexuel(le)
2 – Prédominance hétérosexuelle, occasionnellement homosexuel(le)
3 – Prédominance hétérosexuelle, avec un «passé» homosexuel bien distinct
4 – Hétérosexuel(le) et homosexuel(le), d’une manière égale
5 – Prédominance homosexuelle, avec un «passé» hétérosexuel bien distinct
6 – Prédominance homosexuelle, occasionnellement hétérosexuel(le)
7 – Entièrement homosexuel(le)
D’après cette échelle, l’on peut avec raison introduire l’idée qu’il convient mieux de parler d’hétérosexualités et d’homosexualités au pluriel, sachant également qu’ils ne se résument pas à la seule sexualité, mais aussi à des affects, des sensibilités, des créativités particulières.
« En plus d’une hétérosexualité manifeste, une quantité très importante d’homosexualité latente ou inconsciente peut être trouvée chez des gens ordinaires » (Freud)
Fliess développa l’idée que la bisexualité biologique se prolonge chez l’être humain en une bisexualité psychique de base, et que l’enjeu du développement psychique sera le bon fonctionnement ou non du refoulement des caractères de l’autre sexe.
Le terme « homosexuel » est assez récent et date de la fin du 19ème siècle [3]. De nos jours, l’habitude que nous avons prise de l’employer nous incite à trouver naturelle la distinction des personnes en deux groupes, en fonction de leur sexualité : celles qui ont des rapports avec des personnes du même sexe, et celles qui en ont avec des personnes de l’autre sexe. Ainsi, l’on dira « Regarde, c’est Fabien qui arrive, tu sais ce jeune homosexuel dont je t’avais parlé hier… ».
Cette distinction, pour ne pas dire ségrégation, est profondément injuste, car l’on ne peut et ne doit en aucun cas résumer une personne à ses attirances sentimentales et sexuelles.
Dans l’Antiquité
Cette distinction était inconnue dans l’Antiquité où les individus étaient parfois spontanément bisexuels, avec des préférences individuelles plus ou moins prononcées. Et ils se différenciaient sur d’autres critères que la sexualité.
Il n’est pas question ici de faire l’apologie de l’homosexualité, mais de décrire ici d’une manière simple son histoire depuis l’antiquité jusqu’à nos jours.
L’histoire nous rapporte qu’Alexandre le Grand (356-323 av. J.-C. – Roi de Macédoine) eut pour compagnes des centaines de femmes, et seulement deux hommes, mais qu’il n’a été amoureux, passionnément et pour longtemps, que d’un seul de ces deux hommes. Cicéron (106 – 43 av. J.-C. – avocat, homme politique et orateur romain) avait une femme, mais lui préférait les charmes de son jeune esclave, qui était son secrétaire favori ! Néron (37-68 ap. J.-C., empereur romain), fit châtrer l’un de ses esclaves avant de le prendre publiquement pour épouse.
Le poète romain Catulle (1er siècle av. J.-C.), épris du beau Juventius, écrivait : « Si sur tes yeux doux comme le miel, Juventius, l’on me laissait mettre sans relâche mes baisers, j’en mettrais jusqu’à trois cent mille sans me sentir jamais rassasié. »
En Egypte, les pharaons disposaient d’un harem de beaux jeunes hommes. Au Japon, les samouraïs ne cachaient pas leurs relations homosexuelles.
Une erreur courante consiste dans le fait que la Grèce antique soit souvent assimilée au berceau et au paradis de l’homosexualité. D’ailleurs, les structures sociales et les lois en vigueur à Athènes réprouvaient ce que nous appelons aujourd’hui « l’homosexualité ». L’amour entre hommes était considéré comme avilissant et indigne. Entre adultes, les relations homosexuelles étaient inconcevables, et les efféminés (pathici) étaient l’objet de railleries et de mépris.
Par contre, ce qui était autorisé, et même encouragé, c’était la relation entre un homme mûr et un adolescent, ce que nous appelons de nos jours la « pédérastie », et qui est actuellement formellement condamnée avec raison par la loi. Erigé au rang d’institution, le rapport entre l’amant adulte – l’érastre, un homme qui ne dépassait jamais quarante ans -, et l’aimé mineur, – l’éromène, un jeune à peine pubère -, constituait pour ce dernier un rite de passage à l’âge viril. Même si les liaisons n’étaient parfois pas dénuées de passion, elles avaient surtout valeur éducative… : l’homme mûr prenait sous son aile un adolescent et le formait à la vie sociale et politique, tout en entretenant des rapports sexuels avec lui [4], sans que la notion de plaisir ne prenne le dessus sur les autres valeurs formatrices de la relation. Le mineur était pris en charge par le majeur dès ses 12 ans, jusqu’à l’apparition de la première barbe, vers l’âge de 18 ans.
Les philosophes grecs Platon (427-347 av. J.-C.) et Socrate (470-399 av. J.-C.), le général et consul romain Jules César (100-44 av. J.-C.), surnommé « l’homme de toutes les femmes et la femme de tous les hommes », l’empereur chinois Wu (140-87 av. J.-C.) étaient considérés comme homosexuels. En France, Henri III, Roi de France (1551-1589), était très critiqué pour ses goûts efféminés et les faveurs qu’il accordait à ses « mignons ». Le compositeur russe Tchaïkovski (1840-1893) se suicida vraisemblablement à cause du problème posé par son homosexualité. Rimbaud et Verlaine, Aragon, Colette, Proust, Genet, Jean Cocteau et Jean Marais, Gide et Pasolini, Michel-Ange, Léonard de Vinci étaient homosexuels.
Dans son « Livre Blanc », paru anonymement en 1928, Jean Cocteau justifie ses penchants :
« Au plus loin que je remonte et même à l’âge où l’esprit n’influence pas encore les sens, je trouve des traces de mon amour des garçons. J’ai toujours aimé le sexe fort, que je trouve légitime d’appeler le beau sexe. Mes malheurs sont venus d’une société qui condamne le rare comme un crime et nous oblige à réformer nos penchants. »
Michel-Ange, enflammé par la passion amoureuse, était fasciné par la beauté du corps des hommes jeunes, mais aussi par la beauté du divin. Il écrivit ceci en 1532 :
« Hélas ! Hélas ! Quand je repense au temps passé, je ne trouve pas un seul jour qui ait été à moi. Les faux espoirs, les vains désirs, – maintenant je le reconnais – m’ont tenu en péril, loin de la vérité, pleurant, aimant, brûlant et soupirant, car aucune passion mortelle ne me fut étrangère. Le temps fugitif m’a enfin manqué, mais s’il se prolongeait, je ne serais pas encore las. » [5]
[3] Le terme « homosexualité » a été forgé par un médecin hongrois, le Dr Benkert, en 1869. Homo, en grec, signifie « le même », « semblable », tandis qu’hétéro signifie « différent », « dissemblable ».
[4] Avec pénétration de l’adolescent
[5] in « Michel-Ange, le tourment et la gloire » – Simone Hills – Editions du Sarment – 1997
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